Thom Yorke - The Eraser
Alors que se prépare toujours pour début 2007 le tant attendu nouvel album de Radiohead (dont on ne sait toujours pas avec certitude sous quelle forme il sortira, EP’s ou LP, virtuels ou non) et que des rumeurs de séparation prochaine se font à nouveau entendre suite à certains propos du groupe tenus sur internet, Thom Yorke attire particulièrement les regards. En effet, son premier album solo, The Eraser, vient de sortir, et tout le monde en parle. Du coup nous aussi.
1. The Eraser
2. Analyse
3. The Clock
4. Black Swan
5. Skip Divided
6. Atoms For Peace
7. And It Rained All Night
8. Harrowdown Hill
9. Cymbal Rush
Alors Rabbit, tu en penses quoi, de cet album solo ? Je dirais qu’il est difficile d’accès au premier abord mais après deux ou trois écoutes, quel plaisir d’y plonger, une merveille...
Très réussi à mon avis aussi, Darko. Thom Yorke assume jusqu’au bout son amour de l’ambient et de l’electronica bien barrée, Aphex Twin, Autechre et Boards Of Canada sont plus près que jamais. Du coup on réalise à quel point le leader de Radiohead devait être en roue libre sur les faces-B d’ Amnesiac et Hail To The Thief . Mais The Eraser va encore plus loin, et trouve ce point d’équilibre magique entre froideur électro et mélancolie vocale. L’ouverture sur le morceau éponyme est vraiment incroyable...
Tu l’as dit ! The Eraser démarre de fort belle manière avec une mélodie au piano ressemblant à celle de Pyramid Song, mais cette fois, celle-ci est hâchée, triturée, elle semble fatiguée, en train de décliner. Et justement, on l’entend disparaître progressivement sous une pluie de beats, les chœurs - seraient-ce des anges ?... des sirènes ? - se chargeant de la recouvrir entièrement et d’annoncer une fin inéluctable. Mais, de façon surprenante, le morceau se termine sur une note d’espoir... Une mélodie synthétique et radieuse reprend le dessus sous une pluie cette fois battante. Tout a été effacé, il est temps de reconstruire...
Oui, et cette reconstruction commence par une Analyse... enfin, plutôt une analyse impossible, à en croire Thom Yorke. "Pas assez de temps pour éclaircir les choses et leur donner un sens", dit-il. J’aime particulièrement cette chanson, sa puissance contenue. Cette mélodie me rappelle aussi par moments celle de Pyramid Song, par son côté mélancolique surtout. Il n’y a pas encore d’espoir visible, "pas d’étincelle, pas de lumière dans l’obscurité"... Le final évanescent est génial, encore cette idée d’effacement qui répond au titre de l’album.
C’est vrai, d’ailleurs ce morceau est vraiment la suite logique du précédent. Thom Yorke y annonce que la prophétie s’est réalisée. Quant à savoir laquelle, pourquoi et dans quel but ?... lui-même semble ne pas en connaître la raison. Mais pour ma part je préfère l’hypnotique The Clock, le morceau suivant. Il repose sur un rythme entêtant qui martèle chaque seconde tel un compte à rebours, cela donne une sensation de danger, accentuée par une accumulation de bruits frénétiques. Le tout contrastant avec un chant étiré, presque apaisé, qui se laisse aller à des incantations sur fond de musique orientale à base de guitare...
En effet. Thom Yorke réussit encore à surprendre, notamment en beatboxant sur cette véritable chanson de sorcier indien. On se rappelle son amour revendiqué pour Nusrat Fateh Ali Khan... Quelle triplette d’ouverture en tout cas ! Sinon, en parlant de sorcier, ça me fait penser au personnage sur la pochette du disque, on dirait un magicien, non ?
Bien vu ! D’ailleurs cette pochette illustre parfaitement l’album. La couleur est annoncée dès que l’on a l’objet entre les mains : sombre, allant du gris au noir, tout comme la mer et les nuages peu rassurants que tente d’arrêter un homme seul.
Et ce personnage, ne penses-tu pas qu’il symbolise le leader de Radiohead ?...
Personnellement j’en doute, l’homme sur la pochette tente de sauver l’humanité de ce déluge. Thom Yorke, quant à lui, n’a jamais voulu endosser cette responsabilité et ce n’est sûrement pas avec cet album solo qu’il va accepter cette charge. Au contraire, il se laisserait sûrement emporter par les éléments - au sens figuré, évidemment - de façon à nous démontrer l’impuissance de l’homme face à la nature, et qu’il ne sert à rien de lutter. Les dernières catastrophes naturelles peuvent lui donner raison : tsunamis, ouragans capables de ravager des villes, de faire céder des barrages... l’homme est bien impuissant face à cela.
Justement, ça me ferait plutôt penser à un combat de l’homme contre les éléments, peut-être par extension de Thom Yorke contre sa nature inquiète, ou même ses doutes amoureux ? L’album dans son ensemble me donne l’impression de parler avant tout d’une histoire de couple en difficulté, dont il essaierait en quelque sorte de recoller les morceaux malgré tout...
Tout à fait, il suffit d’écouter Atoms For Peace, qui sur une musique répétitive, presque monotone, nous montre un Thom Yorke fatigué, désireux d’effacer les mensonges passés pour repartir sur de nouvelles bases. Cette fois, il est prêt à tous les efforts, il n’est plus question de confrontation. Le chanteur de Radiohead semble même apaisé, et plein d’espoir quant à cette histoire d’amour qui est selon lui loin d’être finie.
Oui, tout le contraire du morceau suivant, l’angoissant It Rained All Night. Cette chanson me fait penser à un rêve hanté par l’impossibilité de contrôler sa vie. Thom Yorke y répète souvent "je peux te voir, mais jamais t’atteindre"...
En effet, le rythme tribal de simples baguettes en bois sur fond de sonorités inquiétantes accompagne une pluie qui semble inonder et paralyser une ville entière. Tout cela n’est pas rassurant, et pourtant Thom Yorke a l’air d’y rester indifférent. Mais, sur le refrain et à la fin du morceau, il peut enfin se livrer avec une voix touchante et envoûtante, à travers cet aveu d’impuissance. En y réfléchissant, cette pluie, imaginaire ou non, pourrait représenter la tristesse qui le submerge et le coupe du monde extérieur...
C’est fort plausible... D’ailleurs il y parle aussi d’une lune qui tombe, un peu comme si son monde intérieur s’effondrait, ou l’image qu’il avait de la femme qu’il continue d’aimer. Un désenchantement déjà présent sur Skip Divided, sans doute la chanson la plus obscure de l’album. Mais ça semble volontairement interprétable à l’infini, pour illustrer ce sommet de schizophrénie... qu’en penses-tu ?
Je suis d’accord, visiblement beaucoup de choses se passent dans sa tête, il est comme partagé entre plusieurs dimensions. Dans ce morceau par exemple, il paraît ne plus faire partie du réel et vivre dans un monde virtuel. "Des veines électriques passent à travers moi..." A l’écoute des bips, on l’imagine relié à une machine respiratoire ou à un ordinateur, peut-être est-il dans le coma ? Avec une voix presque mécanique et pourtant d’une grande richesse mélodique, il accumule des paroles assez obscures il est vrai, et semble notamment s’interroger, avec inquiétude voire paranoïa, sur sa place dans le monde, la perte de contrôle en amour...
Très juste, là encore il m’a tout l’air de surtout faire référence à une histoire de couple - vécue ?... fantasmée ? - dans laquelle il ne se sentirait soudain plus à sa place, peut-être à cause d’une sensation d’infériorité... Il chante notamment "je suis aveuglé par ta lumière", "quand tu marches dans la pièce tout disparaît" ou encore "je te suis comme un chien". On repense aussi à The Eraser, où résident peut-être les phrases-clés de l’album : "es-tu gentil(le) seulement parce que tu veux quelque chose ?" et "au plus tu essaies de m’effacer, au plus j’apparais". Et si "The Eraser" était une femme ?...
Pour ma part je crois plutôt à une entité abstraite, comme une divinité, la nature ou le temps par exemple...
Peut-être est-ce pour Thom Yorke un peu tout ça et d’autres choses encore ?... d’autant que dans Skip Divided, sait-on vraiment à qui il parle ? Après tout peut-être est-ce à lui-même, à un ordinateur ?... S’agit-il d’une chanson où s’affrontent les personnalités multiples d’un esprit divisé, d’où son titre ? Une chanson sur la déshumanisation à une époque où l’électronique remplace l’homme peu à peu ? En tout cas, il a peur de se perdre, peut-être même de perdre son humanité, et tente de se raisonner - "hey you’re a fool" - mais rien n’y fait...
Sa paranoïa est plus forte... On retrouve ça également dans Black Swan. Il se met dans la peau d’un cygne noir que l’on considère souvent comme annonciateur de catastrophes, qu’elles soient naturelles ou dûes au fait de l’homme - notamment un certain 11 septembre 2001. Là encore il ne contrôle rien, il est résigné devant ses visions, ne pouvant rien conseiller d’autre que la fuite. Mais malgré le pessimisme des paroles, la guitare nous emporte au fil d’une mélodie à la fois mélancolique et entraînante, qui nous donne l’impression de flotter et de partir à la dérive avec ce cygne noir. Le courant semble de plus en plus rapide, on ne sait pas où l’on va, peut-être vers une chute d’eau ? "This is fucked up, fucked up..." Thom Yorke semble en vouloir au ciel...
On peut l’imaginer hanté par la folie de l’homme, mais aussi par l’idée de responsabilité. Comme tu le soulignais tout à l’heure, il n’a jamais voulu jouer un rôle de leader moral ou que ses propos deviennent parole d’évangile. "Sois ton propre cygne noir", dit-il à l’auditeur, "moi je suis en morceaux". On retrouve ce côté hanté dans d’autres chansons de l’album. Par exemple Harrowdown Hill et Cymbal Rush, qui me rappellent l’ambiance gothique de The Gloaming sur Hail To The Thief ...
Oui, sur Harrowdown Hill, même si Thom Yorke dit qu’il retourne chez lui, cette guitare électrique saturée pas vraiment rassurante au milieu d’une musique électronique et froide nous plonge dans une ambiance bien ténébreuse... Tiens d’ailleurs on pourrait voir dans cette phrase un attachement à Radiohead malgré cette escapade solo ?
Intéressant... Mais il me semble aussi que les paroles de cette chanson accentuent encore cette idée de refus de toute responsabilité et confirment ce que je disais à l’instant. Thom Yorke y refuse d’être questionné comme un leader religieux, sans doute par rapport à l’identification et au dogmatisme bien courants des fans, qui voudraient que leur idole leur montre la voie, les aide à se construire... Puis il chante notamment, à plusieurs reprises : "On pense la même chose au même moment, on n’y peut rien." Toutefois là encore ça peut faire penser à une histoire de couple en difficulté... et également, c’est vrai, à un lien indéfectible qui unirait les membres de Radiohead. Alors, un avenir assuré pour le groupe, malgré un Cymbal Rush final où Thom Yorke se dit traqué, tentant de sauver sa maison et ses chansons ? Wait and see...
Pour découvrir The Eraser , le site officiel de l’album et trois morceaux en écoute sur myspace sont à votre disposition.
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