Tape m’en cinq #6

C’est déjà le sixième volet de notre série d’articles consacrée à nos plus discrètes mais talentueuses formations françaises. En voici donc cinq de plus, sélectionnées pour leur actualité récente et leur talent certain. Au programme cette fois-ci, des chansons bien de chez nous, différentes formes de musiques électroniques et du rock bien solide.


Melissmell

On commence avec une belle prise de risque. Il faut bien avouer que dans le petit monde des musiques indépendantes, lorsqu’il s’agit d’évoquer des artistes radio friendly ou offrant quelques similitudes avec d’autres affublés de l’étiquette variété française, on entend souvent quelques grincements de dents incontrôlés. On se souvient notamment du virage entrepris par Kaolin sur son troisième album, qui lui avait valu de s’attirer les foudres de beaucoup, alors qu’il s’agissait peut-être là de leur meilleur album. C’est le même genre de phénomène qui fait que lorsqu’on est cinéphile, il est plutôt mal vu d’apprécier Bienvenue Chez les Ch’tis. Seulement voilà, je me suis bien marré devant le film de Dany Boon, j’aime le troisième opus de Kaolin et j’aime à présent Melissmell. Et si cette dernière nous amène parfois sur les routes de certains imitateurs de Noir Désir, ou aux confins des univers de Louise Attaque ou d’Emily Loizeau, il serait bien dommage que ce genre de rapprochement freine pour de bon vos ardeurs. Et je vous vois déjà venir à l’écoute d’Aux Armes, single de ce premier album et pastiche de La Marseillaise façon Gainsbourg et de Damien Saez à la fois. En tout cas en son début, car rapidement une voix puissante vous embarque, reprend le morceau par le bon bout, comme aurait pu le faire Katel, et vous convainc à poursuivre l’expérience. Et heureusement, car on serait passé à côté d’un album aux nombreux atouts, réunissant une pelletée de chansons donnant dans l’énergie, l’attachant ou simplement la poésie.

 
Ecoute S’Il Pleut est à découvrir sur Spotify.


Raoul Sinier

Voilà un bel hommage directement adressé à Thom Yorke, et qui offre à son créateur, le français Raoul Sinier, l’opportunité de faire un peu parler de lui après quelques albums, pourtant de qualité, mais passés inaperçus chez beaucoup d’entre nous. Si la pochette de cet EP, réalisée par Sinier lui-même, rappelle volontairement celle de The Eraser, c’est pour nous offrir en ouverture l’une des plus passionnantes relectures du travail du leader de Radiohead qu’il nous ait été donné d’entendre. L’occasion pour ce graphiste, vidéaste et bien sûr musicien de s’essayer au chant et, sans atteindre les qualités vocales de Thom Yorke, de s’en tirer avec les honneurs. Ants War et Strange Teeth & Black Nails viennent d’ailleurs confirmer avec brio les talents de Raoul Sinier dans un registre de composition cette fois. Il ne reste plus qu’à espérer que tout ceci soit annonciateur d’un nouvel album que l’on espère vivement voir suivre cette même veine avenante et anxiogène à la fois.

 
Cymbal Rush / Strange Teeth & Black Nails est à découvrir sur Spotify.


Rome Buyce Night

Bruitiste mais jamais oppressante, puissante mais toujours contenue, la musique de Rome Buyce Night délivre un rock intense, presque systématiquement à la rupture, sans jamais outrepasser ses propres limites. Preuve d’une belle maîtrise de son art, Ann Arbor rentre dans le vif du sujet instantanément, prend le taureau par les cornes pour ne jamais plus le lâcher et garder la main ferme jusqu’au répit du guerrier. Du haut de sa douzaine de minutes, l’introductif The Red Diag illustre au mieux le travail des Nantais, dévoilant par étapes son véritable visage pour tendre progressivement vers un rendu final où règnent chaos et désolation. Après quatre déflagrations successives, le groupe reprend son souffle et s’offre deux sorties de piste intéressantes, enrobant à sa manière un texte de Beckett (Deux Millions et Demi de Secondes) avant de goûter succinctement aux plaisirs de la musique folk (Ann Arbor). La liberté retrouvée, on replongerait presque illico dans les méandres obscurs du début d’album.

 
Ann Arbor est à découvrir sur Spotify.


Kingfisherg

Avec un nom comme ça on ne l’aurait pas cru français. Mais si, François Boulanger n’est d’ailleurs pas un nouveau venu dans le paysage électronique national, déjà auteur de deux albums sous ce même pseudonyme et également à la tête d’un projet nommé Cupp Cave. Avec Fire Hum, cet artisan bricoleur élabore minutieusement une électronica où grouillent beats et cliquetis. On a parfois l’impression de se retrouver face à des compositions réintégrant des ingrédients issus du répertoire de Four Tet pour les hacher menus et les reprendre en sauce. Et le plus souvent c’est à un tout autre rendu bien plus singulier que cela nous mène. Avec quelques écarts remarqués en territoire hip-hop et quelques passages plus contemplatifs, Kingfisherg offre à ce troisième album un intérêt sans cesse renouvelé au fil des morceaux et des écoutes.


Cours Lapin

On termine ce volet en trichant quelque peu. Oui, car avec un tel pseudonyme et bien que chantant exclusivement en français, Cours Lapin n’est autre qu’un quatuor danois. On est tellement peu habitué à entendre nos voisins non-francophones s’exprimer dans notre langue qu’ils méritaient bien de figurer ici-même. D’autant que leur musique, très française elle aussi, dans un registre très proche de celui d’Emilie Simon, vaut largement le détour. Esquissant des tableaux inspirés de la nature, Cours Lapin donne naissance à un univers rappelant celui de Vegetal, explorant des contrées malgré tout moins électroniques et donc nettement plus acoustiques. Marquées par une certaine naïveté enfantine, les compositions sensibles et nébuleuses s’enchaînent dans un bel équilibre et font de ce Un Deux Trois un album particulièrement attachant.

 
Un Deux Trois est à découvrir sur Spotify.

News - 10.02.2011 par Pol