Bill Orcutt - A New Way To Pay Old Debts
Editions Mego réédite ces temps-ci A New Way To Pay Old Debts, album séminal et cru de Bill Orcutt alors qu’il y a à peine quelques mois, Down Way South, une captation live du bonhomme, se faisait entendre du côté de Palilalia Records. Retour sur l’art singulier et exubérant de ce guitariste habité qui déterre le cadavre du blues originel.
1. Lip Rich
2. Sad News From Korea (L. Hopkins)
3. Pocket Underground
4. Too Late To Fly
5. My Reckeless Parts
6. Street Peaches
7. A New Way To Pay Old Debts
8. Cold Ground
9. High Waisted
10. Big Ass Nails
11. All the Creatures Of The Ocean Are Alive
12. More Salt
13. Chicken Wing
14. Poor Black Math
Pour remonter aux racines de cette musique tellurique qui elle-même semble remonter, à sa façon, aux racines du blues primitif, il est nécessaire de rappeler que Bill Orcutt est le co-fondateur d’Harry Pussy avec la batteuse et, euh, chanteuse, Adris Hoyos. Harry Pussy, c’est ce trio furieux, noise et punk à la fois, originaire de Miami, dont la musique disloquée s’apparente à ce qu’il doit se passer dans l’estomac d’un rat lorsqu’il vient de bouffer les restes d’un cadavre en putréfaction. C’est dire si c’est free. C’est dire aussi si c’est gentiment inaudible. C’est dire enfin si c’est un brin intéressant. Mais Bill Orcutt en solo, armé de sa seule guitare, ça n’a rien à voir avec les fulgurances faussement dangereuses de son groupe d’antan. D’abord, sa musique à lui n’est ni noise, ni punk. Enfin, si, parce que c’est bien cet esprit de déstructuration jusqu’au-boutiste que l’on retrouve tout au long d’A New Way To Pay Old Debts. En revanche, le registre où officient ses nouveaux morceaux, c’est plutôt celui du blues. Le vrai, l’original, celui qui est né dans les champs de coton qui parsèment le delta du Mississippi. Le viscéral, donc. Le méchant aussi. Mais on y reviendra.
A New Way To Pay Old Debts est, à bien des niveaux, complètement atypique. D’abord, il est déjà sorti en 2009 sous la forme d’un vinyle tiré au compte-gouttes et très rapidement épuisé. Il revient cette année au format CD chez l’inflexible Editions Mego, agrémenté de deux titres issus du 7’’ High Waisted paru lui aussi en 2009 chez Palilalia Records (et bien sûr épuisé) et de quatre autres jamais sortis encore. Difficile pourtant de faire la différence d’avec l’édition originale parce qu’autant le dire de suite : tous les titres de Bill Orcutt se ressemblent. Et pourtant à leur écoute, à aucun moment on ne sent poindre l’ennui.
Dès qu’il est posé sur la platine, à l’instant précis où la première micro-seconde se fait entendre, les enceintes se mettent à cracher un flot ininterrompu de fil de fer barbelé et de lames de rasoir. Il arrive des notes de partout, jouées à l’arrache a-t-on l’impression dans un premier temps et on souffre réellement pour l’instrument qui les a engendrées. Un guitare Kay à quatre cordes, accordée on ne sait trop comment et que Bill Orcutt malaxe, frappe, maltraite pour en extraire une matière sonore indomptée car littéralement indomptable. Tout l’espace est occupé, aucune fréquence de libre, aucun répit et comme si cela ne suffisait pas, un cri se fait parfois entendre, du genre primal et bestial qui souligne parfaitement le côté viscéral de l’ensemble car cette musique ne se paie pas de mots. Hardcore.
On imagine les vingt-cinq doigts arachnides et en sang de Bill Orcutt, les articulations qui souffrent, les quatre cordes qui en prennent plein la gueule et qu’il doit probablement changer à chaque fin de morceau, blocs rasoirs monolithiques et incisifs. L’esthétique lo-fi est ici poussée au maximum et il n’est pas rare d’entendre une foultitude de bruits connexes : klaxons, voitures qui roulent, portes qui se ferment, téléphone, etc. Autant d’intrusions de la vie qui proteste probablement devant le portrait cru et peu flatteur qu’en dressent ces morceaux. Il faut savoir qu’ A New Way To Pay Old Debts a été entièrement enregistré dans la cuisine de Bill Orcutt, le micro tout contre la guitare, d’où cette saturation permanente et terriblement vivante.
Une nouvelle façon de payer les vieilles dettes, donc. C’est-à-dire ? Un tribut payé au blues ? Mais alors pas du blues de professionnel qui vous balance des Mama’s et des Yeah toutes les cinq secondes et autant de soli aussi techniques et virtuoses que totalement vains. Non, ici, c’est sale, dur à cuire, déglingué, méchant et toujours pareil. Plusieurs morceaux mais tous les mêmes. L’équivalent musical d’un reflux acide qui cautérise tout sur son passage. Terrible, tellurique et d’une grande intransigeance. Et si on ne sait pas de quelles vieilles dettes Bill Orcutt tente de s’affranchir, on sait tout de même qu’on n’aimerait pas avoir les mêmes. Il faut écouter ces morceaux déstructurés et sauvages, ce Lip Rich introductif aux fausses accalmies inquiètes qui balance la purée cinq minutes durant ou encore ce My Reckless Parts aux micro-coupures permanentes, développant un bon milliard de notes sur cinq secondes puis s’arrêtant à la sixième, se ravisant et repartant de plus belle avant de s’arrêter à nouveau, le tout soutenu par quelques borborygmes, voire le titre éponyme, A New Way To Pay Old Debts à l’introduction quasi-mélodique avant que les démons de Bill Orcutt ne reprennent le dessus et que ses doigts s’emballent à nouveau. Du côté des nouveaux morceaux que présente cette réédition, on retiendra entre autres le long cri-larsen franchement glaçant High Waisted ou encore le sauvage et destructeur Chiken Wing. Tous de véritables blocs de chair grouillants, parcourus d’ondes urgentes et explosant plus d’une fois en gerbes percutantes. L’impression de voir les tripes jouer, le cortex dans les chaussettes.
C’est sûr, ça fait mal, c’est sale mais c’est aussi d’une grande pureté et tout le temps beau.
Dès lors, lorsque paraît Way Down South au mois de juillet de l’année passée, c’est avec un plaisir non feint que l’on se jette dessus. Le titre est une double allusion. D’abord au lieu où le disque a été enregistré live, le High Street Project à Christchurch, en Nouvelle-Zélande mais aussi, probablement, au sud des États-Unis et en particulier à sa musique, on l’aura compris, le blues. Sur celui-ci, le micro s’est éloigné de la guitare et le son est plus lointain, sans doute aussi moins sauvage (quoique). Le jeu de Bill Orcutt semble lui-même plus assuré, moins accidenté et même sa voix (enfin, ses cris) semblent vouloir se mettre en avant (Way Down South 2). Bref, Way Down South présente une musique un poil plus civilisée. Qu’il s’agisse d’un live ne fait franchement pas grande différence puisqu’A New Way To Pay Old Debts l’était lui aussi, même s’il n’y avait pas de public autre que l’auditeur (bien que le public, sur Way Down South, ne se fasse aucunement entendre avant la fin). Captation live donc, encore une fois tirée à quelques exemplaires, exclusivement en vinyle monoface. On reconnaît tout de suite le son de Bill Orcutt mais aussi, et c’est assez nouveau, ses miaulements (Way Down South 4) et ses longs cris (celui, pétrifiant, qui termine Way Down South 5 et aussi l’album). Pas de titres ici, juste des numéros et la description du contexte de cet enregistrement ainsi que les remerciements d’usage sur le bandeau blanc qui coupe le visage de Muddy Waters en deux sur la pochette du disque. C’est vrai que l’effet de surprise provoqué par A New Way To Pay Old Debts a fatalement disparu, il reste en revanche sa guitare prolixe et furibarde, ses notes en pagaille que l’on n’aura de cesse, on le sait bien, de revenir écouter quand le besoin d’une décharge d’adrénaline se fera sentir. Écoutez les cordes fragmentées de Bill Orcutt et, avec elles, foulez aux pieds ces territoires singuliers, vierges de la moindre visite depuis longtemps et fourmillant de la vie la plus sauvage qui soit.
C’est bien simple, il faut avoir les deux.
Vital.
Pour souligner le propos, voici Bill Orcutt qui se filme, jouant un bout de morceau d’A New Way To Pay Old Debts...
... et une captation live réalisée à l’Art Museum de Berkeley.
Et c’est parti pour la marronnier de fin d’année. Est-ce bien nécessaire ? Je n’en suis pas si sûr. Mais après tout, pourquoi ne pas rajouter quelques mots sur quelques disques ? Cela permettra peut-être de pousser vers l’avant certains d’entre eux dont on a trop peu parlé. Car au final, 2010 était une sacrée belle année musicale (...)
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