2010 dans le rétro : les trésors cachés

Pas de véritable bilan cette fois, et pour seul classement les 20 premiers de ces trésors cachés que nos rédacteurs auront eu l’idée de sortir des tiroirs, rangés tout bêtement par ordre alphabétique. 20 autres suivront, et peut-être encore 20 de plus d’ici quelques semaines, au gré des envies, des engouements ou des regrets de chacun.

Car pas de Kanye West, d’Arcade Fire ou de Warpaint ici, mais des obscurs, des laissés pour compte de la presse spécialisée. Des oubliés ou jamais découverts, des artistes reconnus et d’autres qui ne le seront sans doute jamais. Des albums dont on n’avait pas eu l’occasion de parler ailleurs que sur notre forum et d’autres repérés sur le tard, des disques qui demandent qu’on leur laisse du temps ou parfois simplement une chance. Des univers singuliers ou plus aisément abordables, mais pas assez glamour peut-être pour les feux du music business. Des coups de cœur personnels en somme, passés entre les mailles du filet d’IRM, passions soudaines ou déjà bien consommées mais qu’on n’est pas prêt de laisser s’éteindre et que l’on aimerait partager plus amplement avec nos lecteurs avides d’horizons inexplorés.


Absent Without Leave - Faded Photographs


C’est déjà le troisième album pour ce Grec jusqu’ici méconnu. Mais en s’offrant les participations de membres de formations comme Hood, Epic45, The Declining Winter ou Port-Royal, George Mastrokostas a vraiment mis toutes les chances de son côté pour faire de Faded Photographs l’une des plus belles réussites de l’année en matière de post-rock et d’électronica. Dans une veine toujours très apaisée, les compositions de notre homme basées sur de délicats arpèges de guitare, s’habillent de beats électroniques et autres éléments successivement apportés par chacun des contributeurs au projet. Un voyage léger, aéré dont les points d’orgue s’intitulent How The Winter Comes, Faded Photographs, Where The Birds Fly In Winter ou Above The Trees. Difficile de faire plus évocateur.

< en écoute sur Spotify >

(Pol)


Anklebiter - I Will Wait


Arrivé tout récemment dans les rangs du label chicagoan Tympanik Audio dont on vous rebat régulièrement les oreilles depuis quelques mois à forces d’œuvres majeures venues perturber l’hégémonie des maîtres de l’IDM des label Warp, n5MD ou Hymen, Tanner Volz (ML) n’a pas grand chose à envier aux nouveaux cadors du genre que sont Nebulo, Zeller ou Access To Arasaka avec lesquels ce deuxième album solo du beatmaker de Portland partage un goût certain pour les nappes futuristes et les rythmiques post-industrielles. I Will Wait néanmoins parvient à s’en démarquer par une dimension émotionnelle plus prononcée distillant mélancolie, inquiétude ou angoisse au fil de compositions qui réussissent l’exploit de simplifier les abstractions chaotiques d’Autechre, de les "vulgariser" pourrait-on dire sans rien sacrifier pour autant de ce son si particulier hérité du duo anglais, né du contrastes entre mélodies stellaires, saturations analogiques et arythmies mathématiques.

(RabbitInYourHeadlights)


The Brunettes - Paper Dolls


Pour leur quatrième opus en huit ans déjà, les Brunettes révélés chez nous par leur touchante reprise de Lovesong sur la compilation Just Like Heaven de 2009 en hommage aux Cure troussaient en début d’année une (twee ?) pop légère mais incisive, à la fois minimaliste et sucrée juste ce qu’il faut dans les mélodies vocales notamment, teintée de claviers rétro-futuristes à la Stereolab mais aussi gentiment pervertie par les discrets soubresauts arythmiques d’un électro 8-bit discoïde qui n’aurait pas dépareillé chez Morr Music, voire même chez Warp avec des titres tels que Bedroom Disco ou le plus troublant Paper Dolls aux réminiscences de beats à la Squarepusher - It’s Only Natural convoquant par ailleurs les sonorités tropicales chères à l’ancien collaborateur du groupe Ryan McPhun plus connu pour son projet The Ruby Suns. Et si de cette touche de singularité devait forcément naître toutes proportions gardées une certaine parenté avec les virevoltants Californiens de The Bird And The Bee, nos deux Néo-Zélandais évitent la confrontation directe en opposant leur efficacité colorée aux badineries spleenétiques de la belle Inara George, non sans une certaine magie néanmoins grâce à ces charmants arrangements de synthés désuets mais surtout aux pas-de-deux vocaux de Jonathan Bree et Heather Mansfield culminant sur le désarmant If I, seule concession ouvertement mélancolique et romantique d’un album résolument fun et entraînant... du moins en apparence.

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(RabbitInYourHeadlights)


Calika - Blood Embrace

Croisé au côté de Mark Clifford leader de Seefeel le temps d’un album aux drones organiques chez Polyfusia en 2005, Simon Kealoha sort nettement du cadre de l’ambient avec son projet personnel Calika, dont ce quatrième opus paru en toute confidentialité l’été dernier pourrait être à l’avant-garde électro ce que l’œuvre d’un Kandinsky fut à la peinture abstraite : un concentré de formes inédites mariant angulosités radicales et rondeurs plus engageantes, à l’univers éclaté mais toujours suffisamment centré sur une forme ou une figure pour capter pleinement l’attention de l’auditeur. Soit un véritable OVNI d’IDM aux lignes de basse énormes phagocytant dubstep, glitch-hop, folk sud-américaine, classique contemporain ou dark ambient jusqu’à ne plus ressembler à quoi que ce soit d’autre qu’à lui-même mais sans se départir dans ses passages les plus rythmiques d’un sens du groove tout à fait redoutable.

< en écoute sur Spotify >

(RabbitInYourHeadlights)


Expo ’70 - Death Voyage


Pour Justin Wright, le temps semble s’être arrêté quelque part au milieu des années 70. En attestent le pseudonyme sous lequel il officie, ses pochettes d’inspiration rétro-futuriste (qu’il réalise et assemble lui-même) et bien sûr sa musique, héritière de cette mouvance kosmische qui connait aujourd’hui un revival certain. Avec le bien nommé Death Voyage, celui qui n’a rien à envier à Aidan Baker en matière de stakhanovisme créatif nous invite à bord d’un trip psychédélique qui tient plus du doom galactique que de la rêverie new-age. Cette plongée dans les entrailles d’un cosmos qu’on imagine peuplé de créatures malveillantes constitue à n’en pas douter l’une des œuvres les plus abouties d’une discographie labyrinthique qui en 2010 s’est également enrichie du tout aussi recommandable Sonic Messenger.

(FredM)


The Fun Years - God Was Like, No


Inutile de pousser les meubles et de sortir les cotillons, The Fun Years, duo américain composé de Ben Recht et Isaac Sparks, porte bien mal son nom. La seule trace de plaisir semble ici se trouver dans celui pris par les deux compères à nommer leurs albums et morceaux de façon absurde ou ironique. God Was Like, No, leur huitième album et le troisième publié chez Barge Recordings, commence pourtant de façon relativement avenante (et pas très éloignée de la production d’un Mark McGuire que ce soit en solo ou au sein d’Emeralds), mais ne vous y trompez pas, ces nappes glaciales de guitare empilées et mêlées de crépitations électroniques finiront par avoir raison de vos envies de faire la fête.

< en écoute sur Spotify >

(FredM)


Funki Porcini - On


Reprendre le sommet de spleen romantique de l’orfèvre pop Henry Mancini quand on officie sous le pseudonyme de Funky Porcini, il fallait oser. Mais pour James Braddell rien d’impossible, lui qui eut été l’égal d’un DJ Shadow sans ce pseudo de rappeur du 9-3 hérité non pas d’une culture du gangstérisme post-ado pour ondes FM mais des nombreux séjours de l’Anglais dans sa patrie d’adoption, l’Italie (où les cèpes se traduisent "funghi porcini") qui le vit passer dix ans à composer pour le cinéma et la télévision avant ses débuts sur album. Musicalement donc, pas plus d’italo-disco que de rap mafioso en toc pour ce précurseur des fusions électro/jazz/hip-hop du label Ninja Tune dont il fut l’un des tout premiers représentants à s’illustrer en 1995 avec l’atmosphérique Hed Phone Sex avant de mettre notamment le pied à l’étrier à un certain Amon Tobin.

Car le Moog River de Funki Porcini, ballet évanescent de harpe et de mélodica zébré par les accords fuyants d’un clavier analogique du même nom au son réminiscent du chant des baleines, donne plutôt dans l’onirisme extatique et l’impressionnisme cotonneux en tirant le meilleur de l’expérience engourdie de Fast Asleep en 2002, sans doute l’album d’abstract-jazz qu’aurait enregistré Debussy s’il était né un siècle plus tard. Soit une fascinante porte d’entrée pour le genre de rêves lynchiens en clair-obscur et en cinémascope que déroule ce cinquième véritable opus (outre Plod autodistribué en digital via Bandcamp depuis 2009, "mini-album" ouaté parfois à la limite de l’ambient), même si l’on aurait tort de se fier à tant de douceur, la drum’n’bass dont Braddell fut également l’un des pionniers - et qu’il fit culminer il y a 15 ans déjà sur l’indépassable Love, Pussycats & Carwrecks aux rythmiques aussi virtuoses qu’insaisissables - ayant tout de même laissé quelques traces en terme de crescendos de tension (This Ain’t The Way To Live, Waking Up) ou d’atmosphères pesantes (Undermud, The 3rd Man), à défaut d’un beatmaking toujours dense mais cette fois encore nettement plus feutré sous l’influence prépondérante du jazz.

< en écoute sur Deezer >

(RabbitInYourHeadlights)


Goonies Never Say Die - No Words To Voice Our Hopes And Fears


C’est bien discrètement que le successeur de A Forest Without Trees est sorti au début de l’automne. La nouvelle livraison de Goonies Never Say Die aurait pourtant mérité un tout autre accueil critique... En effet, le groupe originaire de Blackpool navigue ici dans des eaux troubles, quelque part entre Mogwai et Godspeed You ! Black Emperor. Rien que ça ! Entièrement instrumental, la progression de l’album est extrêmement intéressante, celui-ci montant en puissance, bien aidé en cela par des morceaux en forme de montagnes russes qui ne ménagent jamais vraiment nos émotions. Les Anglais nous présentent ici l’une des brillantes surprises de l’année 2010 en terme de post-rock...

< en écoute sur Bandcamp >

(Elnorton)


Kid606 - Songs About Fucking Steve Albini

Plus réputé pour les crises d’épilepsie chaotiques et autres crissements métalliques d’un Down With The Scene passé à la postérité breakcore, ou pour ses incursions plus ou moins détraquées dans la techno, la house ou l’IDM, on oublie trop souvent que Miguel Trost Depedro sait aussi exceller dans l’ambient - citons notamment le méditatif et glitchy PS I Love You ou les drones analogiques d’un GQ On The EQ++ qui combinait dès 2001 toutes ces influences avec un sens surprenant de la mesure compte-tenu du background radicalement noisy du bonhomme.

Ainsi quand le Kid de San Francisco, toujours paradoxalement féru de culture pop, rend hommage au Big Black de Steve Albini (titre et pochette) ou à Lou Reed avec l’irrévérence qu’on lui connait, on sait bien que l’album n’aura évidemment rien à voir avec l’univers des uns ou de l’autre, mais pas pour autant où le natif de Caracas a décidé de nous emmener. Et en l’occurrence beaucoup seront restés sur le bord de la route, fans de la première heure comme néophytes d’ailleurs à l’écoute de ces interminables vagues de modulations parasites aux enchevêtrements faussement aléatoires, nappes songeuses de textures denses et sans cesse en mouvement prenant pour matériaux de base synthétiseurs analogiques et samples radiophoniques de voix humaines, orchestres ou autres sons divers transformés en drones, arpèges, blips et percussions hypnotiques (quand il ne s’agit pas de véritables tsunamis de bruit blanc) par le véritable travail de plasticien de l’Américain, certes inhabituellement austère de prime abord mais grouillant d’un infini quasi cosmique de possibilités pour peu d’y abandonner raison et sens.

(RabbitInYourHeadlights)


Maps & Transit - Songs For Divining


Maps & Transit, c’est un peu l’alternative à l’album de Absent Without Leave évoqué plus haut. Si ce dernier se situe dans un registre très occidental, il faut s’attendre à emprunter ici des chemins qui nous conduisent vers des sonorités parfois plus orientales, voire même presque médiévales (Three Pendulums). La recette de base reste néanmoins à peu de chose près la même, avec une double lecture d’arpèges en tous genres et de beats électroniques. Un voyage aux horizons nettement plus variés que celui dressé par leur homologue grec, dessinant des tableaux aussi intéressants que distincts. A noter que suivant la mouvance enclenchée par Radiohead, Maps & Transit propose, à un prix laissé à la libre appréciation de l’auditeur, de pouvoir télécharger ce ravissant Songs For Divining sur le site Bandcamp du groupe.

< en écoute sur Bandcamp >

(Pol)


Lloyd Miller & The Heliocentrics - s/t


Révélés il y a quatre ans par un premier album chez Stones Throw, le fabuleux Out There dont l’ambition réussie était rien de moins que de faire basculer le jazz/funk dans l’ère moderne à la façon d’un David Axelrod des années 2000 en y intégrant des éléments rythmiques, psyché ou cosmiques issus de l’abstract hip-hop, de l’électro d’avant-garde ou encore des musiques orientales, les têtes chercheuses de The Heliocentrics une fois cette barre placée trop haut, trop vite s’en sont allés chercher l’inspiration auprès des plus grands ténors du jazz "ethnique".

Ainsi, après l’Éthiopien Mulatu Astatke, aujourd’hui meilleur héritier de Miles Davis et réformateur majeur du jazz psychédélique au tournant des années 70, sur un Inspiration Information 3 dont on n’a pas fini d’explorer les compositions à tiroirs tour à tour cool ou épiques, spirituelles ou lascives, c’est au côté de l’Américain Lloyd Miller que l’on retrouvait l’an dernier nos sept multi-instrumentistes virtuoses. Mais plus effacés cette fois, pour servir au mieux les errances mystiques ou méditatives de ce maître en musique persane auteur d’une thèse sur le sujet dans les 70’s après 7 ans passés à Téhéran à perfectionner son art jusqu’à devenir un expert en oud (luth arabe), tombak (tambour iranien), târ (luth persan) ou santûr (cithare sur table) en plus des piano, violon, saxophone ou instruments à vents divers, parfois même indiens ou chinois, dont on l’entend jouer ici avec un goût certain pour les harmonies subtilement dissonantes et autres digressions libertaires toujours savamment recadrées par le jeu en flux tendu et les arrangements particulièrement denses du combo anglais.

< en écoute sur Spotify >

(RabbitInYourHeadlights)


Anaïs Mitchell - Hadestown


Ça vous dirait, un opéra folk basé sur la relecture moderne d’un mythe antique transposé dans une Amérique post-dépression ?... Alors, personne ? Bon, et si je vous dis Justin Vernon, Ani DiFranco, Ben Knox Miller... Tiens, on dirait que ça attire déjà plus de monde. Mais ne soyons pas mauvaise langue, s’il faut reconnaître qu’inviter des chouchous de la scène indie a sans doute aidé Hadestown à faire parler de lui, ce quatrième album d’Anaïs Mitchell ne saurait être réduit à un simple coup marketing monté à la va-vite pour faire du buzz, et la perplexité initiale s’efface rapidement. Né à l’origine sous la forme d’un spectacle, rodé des mois durant sur les scènes de théâtre du Vermont, ce disque relatant les aventures d’Orphée et de sa belle Eurydice séduit autant par la qualité des interprétations que par sa musique. Signée Michael Chorney, elle nous invite, du blues au jazz et de moments d’émotion en passages plus rythmés, à un voyage à travers tout un pan de l’histoire de la musique américaine. L’album à écouter avec votre copine lorsqu’elle commencera à en avoir marre du drone.

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(FredM)


Jim Noir - Zooper Dooper EP


Pourquoi la psyché-pop analogique du génial Jim Noir est-elle passée des projecteurs à l’anonymat en l’espace de quelques années, on ne savait déjà pas l’expliquer à la sortie de l’éponyme de 2008 passé quasi-inaperçu deux ans après le fulgurant Tower Of Love et ses premiers singles Eanie Meany et My Patch déjà recyclés à maintes reprises par la publicité. La recette pourtant n’a pas changé sur cet EP édité par le Mancunien en personne sur son nouveau label Jimnoir.com créé pour l’occasion, une sortie que même nous défenseurs de la première heure avions manquée, c’est vous dire la confidentialité à laquelle se trouvent catonnées ces six compos rétro-futuristes aux mélodies candides et rayonnantes à côté desquelles le plébiscite du dernier Gorillaz fait plus jamais figure de galéjade.

Des cuivres épiques à la Go ! Team du funky Kitty Cat aux synthés cosmiques du brumeux Map en passant par les errances oniriques de She Flies Away With My Love, l’élégante guitare 60’s de Do You Like Games ou les chœurs naïfs d’un morceau-titre croisant les Beach Boys et Stereolab dans un grand bain de groove martien, il faudra néanmoins attendre Car et sa mélancolie d’enfant grandi trop vite pour que se dévoile enfin la clé de ce récit d’amourette avortée, celle d’un inadapté sans autre protection que le refuge de son imaginaire et de ses souvenirs d’enfant.

< en écoute sur Deezer >

(RabbitInYourHeadlights)


Slow Six - Tomorrow Becomes You


On avait pas mal parlé en début d’année sur notre forum du combo new-yorkais à géométrie variable emmené par Christopher Tignor et Stephen Griesgraber, mais sans jamais prendre la peine de commenter plus officiellement par la suite ce troisième opus, pourtant le genre de disque à s’imposer sur la durée. Mixé à la perfection par John Congleton (The Paper Chase), Tomorrow Becomes You en effet ne manque pas d’ambition, envoyant l’ambient instrumentale dans l’espace à coups de reverb’ feutrée, de subtiles touches électroniques et de samples abstraits tout en inoculant au post-rock semi-acoustique une fièvre qu’on ne lui connaissait pas. Un album aussi majestueux que luxuriant, comme un Balmorhea dont la trajectoire inversée irait plutôt dans le sens d’un certain maximaliste cristallin culminant ici sur These Rivers Between Us, final épique et déchirant de près de 10 minutes doté d’une vidéo à l’avenant.

(RabbitInYourHeadlights)


Stolearm - Marbles And Pearls


Avant de participer à l’accouchement du tout jeune label Linge Records - dont on vous vantait il y a peu la première sortie signée Cyrod et Claude Biscuit qui aurait tout aussi bien pu trouver sa place ici - c’est à la délivrance d’une autre création difforme que nous conviait en août dernier le lyonnais Lühje Dallage. On pourrait presque en faire une blague tiens : "Qu’est-ce qui a deux jambes qui s’agitent le matin mais déjà un pied dans la tombe, rampe l’après-midi sur les trottoirs gelés faute de pouvoir se tenir droit et hante pendant la nuit les dancefloors désertés pour mieux les recouvrir d’un linceul de bruit blanc ?" Ou alors une recette de cuisine ? "Mettez deux mesures de synth-pop décadente, une cuillerée de new wave fantomatique, quelques boîtes à rythmes savamment déphasées, laissez brûler sur un vieux réchaud industriel puis ajoutez une pincée de drones, un zest de dub et conservez bien au frais dans l’espace entre la naine blanche Joy Division et le trou noir Einstürzende Neubauten, avant de servir le tout accompagné d’une poignée de remixes bien barrés."

Le bébé quoi qu’il en soit a l’harmonie d’un Fankenstein et semble un peu bancal, son père lui-même n’a pas l’air convaincu et ne s’en cache pas sur l’enregistrement (cf. Veerkotu) mais force est de constater que la "chose" en impose déjà par sa carrure cosmique et sa personnalité bien trempée - et à en juger par son grand frère à peine plus cadré lorgnant sur le shoegaze ou Nine Inch Nails, cette fausse compil’ de fonds de tiroirs a de qui tenir.

< disponible à l’écoute et au téléchargement gratuit via le netlabel Vault 106 >

(RabbitInYourHeadlights)


Bjørn Torske - Kokning


Avec Kokning, tout commence par des ambiances on ne peut plus sobres. Une porte d’entrée en deux temps nous fait l’introduction du mélange de sonorités organiques et électroniques qui se profile à nous lorsqu’on s’essaye à l’univers inventif de Bjørn Torske. Si celui-ci semble s’épanouir parfaitement dans un certain minimalisme, c’est aussi pour nous amener progressivement, l’air de rien, vers des compositions plus percutantes, où dub, disco cosmique ou ce qui ressemble de près ou de loin à de la house, s’invitent à la fête pour s’octroyer la part du lion. Le norvégien qui n’en est pas à son coup d’essai, avec notamment à son actif de multiples collaborations avec les renommés Röyksopp, réussit à fondre un savoir-faire assez large dans un moule au rendu particulièrement séduisant.

< en écoute sur Spotify >

(Pol)


Brian Wilson - Reimagines Gershwin


Passer inaperçu quand on est l’auteur de l’album le plus unanimement célébré de l’histoire de la musique pop, voilà bien un comble pour Brian Wilson dont le beau That Lucky Old Sun en 2008 était déjà loin d’avoir recueilli les suffrages mérités. Qu’à cela ne tienne, on prend les mêmes (guitaristes, batteur, claviériste, violonistes, choeurs, le chicagoan Paul Von Mertens aux vents et à la direction d’orchestre et bien sûr le crew technique au grand complet) et on recommence pour ces relectures de Gershwin agrémentées de deux inédits (The Like In I Love You et Nothing But Love) complétés à partir de partitions inachevés du compositeur américain par l’ancien leader des Beach Boys et son collaborateur de longue date Scott Bennett, par ailleurs instrumentiste pour Liz Phair, Robert Pollard ou les Flaming Lips.

Le résultat, on s’en serait douté, tient de la symphonie pop jazzy avec des morceaux souvent enchaînés dans un souffle (céleste) et des arrangements chaleureux qui parviennent à transcender dans les meilleurs moments de l’album (dont un Summertime troublant croisant Pet Sounds et les James Bond de John Barry, ou le forcément touchant I Love You Porgy aux arrangements de cordes d’une merveilleuse justesse) les chansons issues du répertoire de l’auteur de Rhapsody In Blue (dont le thème ouvre et clôt le disque) et surtout Porgy And Bess largement représenté ici, entre deux passages plus classiques façon rock des 50’s ou chansons easy listening des 70’s mais toujours pour le moins frais et charmants.

< en écoute sur Deezer >

(RabbitInYourHeadlights)


Working For A Nuclear Free City - Jojo Burger Tempest


Malgré ses fausses allures de fourre-tout, Jojo Burger Tempest est en réalité un énorme et fascinant patchwork habilement tissé par les mains des cinq membres du groupe mancunien Working For A Nuclear Free City, qui signe là son troisième album. Difficile de mettre un nom sur la musique des Anglais tant celle-ci est variée et se veut à la croisée de tous les genres que l’on se plaît à nommer même si elle garde malgré tout une formidable unicité. La plupart du temps instrumentaux, parfois accompagnés d’un chant pertinent, les morceaux naviguent entre pop électronique, synthés noisy et planants voire carrément ambient, à tendance lumineuse, et nous balancent dans tous les sens jusqu’à l’époustouflant final du titre éponyme qui occupe à lui tout seul le deuxième CD. La musique de WFANFC ne tient pas en place, et nous non plus.

(Matt)


World’s End Girlfriend - Seven Idiots


Cascades d’arpèges de guitare électrisants, handclapping, choeurs iconoclastes et bruitages de cartoon, voilà le genre d’éléments à s’inviter dans un même morceau chez le Japonais Katsuhiko Maeda. Rompu aux bandes originales de films (avec notamment le score d’ Air Doll en 2009) comme aux collaborations post-rock (cf. un split avec Mono en 2005 et les premières parties américaines du groupe quand les Tokyoïtes donnaient encore l’illusion de pouvoir un jour détrôner GY !BE de son piédestal), la pallette déployée par le bonhomme sur ce Seven Idiots tirant le meilleur de dix années d’expériences aussi diverses que variées dans les métissages instrumentaux est plutôt du genre irréductible, flirtant par ailleurs comme souvent chez lui avec la barre gargantuesque des 80 minutes.

Solos de basse synthétique et violons folklo psychotiques, beats IDM et batterie en roue libre, piano mélancolique et riffs metal, passages ambient ou free noise, tout y passe ou presque à part un véritable chant, sous l’influence évidente de Squarepusher pour les parties électro virtuoses marquées par la funk ou le jazz, mais on pensera surtout à notre révélation 2009 le Californien Jogger pour cette ferveur communicative et la parfaite tenue de l’ensemble malgré une tendance jamais démentie au kaléidoscope bouillonnant : toujours sur le fil du trop-plein et à la limite de la démonstration, mais sans jamais vraiment tomber du mauvais côté grâce à un lyrisme hérité des compositeurs japonais modernes tels que Joe Hisaishi qui permettrait sans doute à World’s End Girlfriend de se sortir de n’importe quel mauvais pas par la seule grâce d’une envolée orchestrale désarmante.

(RabbitInYourHeadlights)


Yellow Swans - Going Places


Deux après l’extinction officielle de l’étoile Yellow Swans au terme d’une vie bien remplie d’une pelletée de CDs, CD-Rs et autres vinyles, sa lumière continue de nous parvenir. Loin de n’être qu’une maigre lueur blafarde, Going Places, probable dernier rayon émis par l’astre, est plutôt du genre à vous frire la rétine et le cerveau par la même occasion. Difficile d’imaginer meilleur chant du... cygne que ces quarante-cinq minutes de drone noisy qui invitent l’auditeur à une vertigineuse descente dans un univers de bruit blanc au bout duquel l’attend une formidable explosion sensorielle. Si l’on peut regretter que le projet fondé par Pete Swanson et Gabriel Mindel Saloman prenne fin, on comprend aisément qu’après une telle démonstration le duo n’ait rien jugé utile d’ajouter.

< en écoute sur Soundcloud >

(FredM)