Je vous parle d’une époque que les moins de vingt ans n’ont pu connaître qu’en culotte courte via le radiocassette de leur grand frère, du Yerself Is Steam de Mercury Rev aux deux albums de Sharon Stoned en passant par les premiers Pavement ou le Giant Steps des Boo Radleys, ou quand le rock indé était affaire de collisions contre nature et d’expérimentations en chambres d’étudiants, touchant au psychédélisme, à la dissonance ou au bruit blanc dans un chaos d’apparence dont les trompe-l’oeil lo-fi et autres chemins de traverse finissaient presque toujours par nous révéler des mélodies en or massif.
A cette époque bénie des nostalgiques du shoegaze et autres trifouillages de guitares on aimait les recettes bien foutraques et pourquoi pas un brin bancales, celles qui partaient dans tous les sens et dont on pouvait reconnaître les ingrédients, ces influences qu’on n’avait pas forcément toujours prédigérées pour nous. Depuis, l’électro a pris le relais, engloutissant les étiquettes les unes après les autres, mais demeurent quelques bricoleurs en appartement préférant toujours l’instrument au logiciel tout en sachant tirer partie d’une technologie de poche aujourd’hui à la portée de tous et des possibilités illimitées de l’ère internet.
Red Space Cyrod est de ceux-là, dont le nom même aussi bien que l’univers résulte d’un collage, un bout de pseudonyme du californien Jay Echeverria aka Red Space Cadet, adepte d’une indie pop à effets planants, auquel est venu s’apposer celui de son homologue parisien Cyrille Poumerie (photo), cultivant quant à lui un certain minimalisme et multipliant sous l’identité de Cyrod ou ses dérivés les projets froidement frénétiques (Cyrod sur un iceberg), plus atmosphériques et posés (Cyrod Gramophone) voire carrément ambiants ou cinématiques (Cyrod Plasma).
Une rencontre virtuelle via myspace et voilà trois ans que ces deux-là échangent des fichiers d’un continent à l’autre sans s’être jamais rencontrés, avec pour résultat autant d’albums et ce Jimmy Eliot’s Exports sorti le 5 juillet dont on commence à dire le plus grand bien dans les milieux autorisés. Du shoegaze binaire et dissonant de Belles & Smells au krautrock ténébreux d’un Superstitious dont le beat lourd et hypnotique empièterait presque sur les terres de Massive Attack, en passant par le spoken word lancinant d’un Flagship (Narrative) qui pour sa part n’aurait par dépareillé sur un vieil album de Beck avec son mélange de blues saturé et de hip-hop lo-fi, ça c’était pour la première approche sur myspace avant de bifurquer vers le blog du duo qui ne nous propose rien de moins que d’écouter l’intégralité de sa disco, à commencer par l’album en question, pistes 31 à 43 dans l’ordre :
Aussi généreux dans ses partages que dans ses mélanges, le groupe nous offre également au téléchargement son EP de l’an dernier Dream Earth Argument, et Cyrod la plupart de ses (nombreux) enregistrements solo via bandcamp.com ou son blog à éplucher sans modération en quête de BO, collaborations et autres témoignages plus anciens des innombrables directions déjà explorées par ce touche-à-tout des plus prometteurs. Notamment conseillés, la suite Routes de 2008, fabuleuse virée instrumentale en terres électriques plus ou moins arides ou rocailleuses, l’étrange et non moins radical Oizak aux expérimentations plus synthétiques et abstraites, un EP 2009 tout aussi remarquable qui semble vouloir réconcilier le krautrock avec ses héritiers noise et drone doom, ou les plus récents Transverse EP, avec ses 20 minutes de méditation guitaristique tortueuse à la Jim O’Rourke virant en cours de route au road-movie épique, et Faust, exercice ambient à la guitare toujours mais composé cette fois pour une pièce de théâtre contemporain.