Aidan John Moffat - I Can Hear Your Heart
Pour commencer il nous faut mettre en garde le lecteur et auditeur potentiel : I Can Hear Your Heart n’est pas un album comme les autres, et l’écouter d’une oreille distraite n’est pas une option. Pas en tout cas si l’on veut réellement apprécier ce récit elliptique aussi rude que bouleversant construit comme un roman par Aidan Moffat, ancien chanteur des défunts Arab Strap qui après son projet électro Lucky Pierre enregistrait ici pour la première fois sous son véritable nom.
1. Intro & Instructions
2. Atmos
3. Cunts
4. Nothing In Common
5. Hopelessly Devoted
6. Super Sexxxy Real Live !
7. Party At Your Boyfriend’s
8. Monday, Fantasy Time
9. 4Sex Message 1
10. Fuck It
11. Good Morning
12. All The Love You Need
13. You Took It Well
14. International Valentine
15. 4Sex Message 2
16. I’m Not Bitter
17. The Boy That You Love
18. A Very Short Song
19. Double Justice
20. I Will Walk
21. Beak
22. Hungry Heart
23. View From The Kitchen
24. Hilary And Back
Être adulte (mineurs passez votre chemin, c’est même la pochette qui le dit), un minimum anglophone et si possible familiarisé avec l’accent écossais et ses voyelles à couper au couteau, tout cela fait également partie des conditions requises pour entrer de plein pied, au risque de s’y perdre corps et âme à l’image de son personnage principal, dans cette histoire d’adultère et d’erreurs de jeunesse répétées aux mots crus et à la chair triste qu’on imagine largement autobiographique ("the characters portrayed in this work are non-fictitious and any resemblance to real persons, living or dead, is entirely intentional" peut-on même lire dans le livret), narrée en prose ou en vers par ce poète moderne dont la plume à la fois intime et détachée, acerbe et profondément amère, n’a rien à envier à celles de Kundera, Bukowski ou surtout Serge Gainsbourg dont le douloureux L’homme à tête de choux semble avoir largement influencé cet album concept à l’inspiration musicale foisonnante.
Pour la barrière de l’accent on pourra toujours se référer au livret, c’est d’ailleurs plus que conseillé dans un cas comme dans l’autre et par Moffat lui-même qui nous engage sur une première piste de présentation à arrêter la lecture du CD le temps d’aller lire la nouvelle "Poop" ("caca" en français... charmant mais finalement assez bien vu) en guise d’introduction à l’album ("Loop"), laquelle apportera en temps voulu malgré son apparente opacité un éclairage non négligeable et une dimension supplémentaire au récit qui va suivre.
Si la voix de Moffat, superbe de lassitude désabusée, raconte les sentiments comme elle énumère les faits, choisissant de ne chanter que sur une poignée de morceaux (l’album en compte 24 d’une durée moyenne n’excédant pas une minute et demie) dont une paire d’interludes au bandonéon (une reprise du Hungry Heart de Springsteen et une mise en musique du poème A Very Short Song de Dorothy Parker), son accompagnement sonore essentiellement samplé se charge quant à lui de restituer aux mots leur sensibilité par un subtil jeu de contrastes, tout en contribuant à cette atmosphère cinématographique qui rend la narration subjective de l’écossais tellement captivante : gémissements coïtaux sur fond de bossa-nova d’ascenseur, ambiance cool jazz de début de soirée à la new-yorkaise, piano néo-classique prostré et craquelant, musique orchestrale façon chanson romantique des années 50 à la Sinatra, abstract hip-hop sursaturé, ballade soul surannée, drone ambient déchirant, mélodie folk 60’s hors du temps, musique de film noir lourde des tragédies humaines à venir qui pourrait sortir tout droit d’une BO de Bernard Herrmann pour Alfred Hitchcock, électro assourdie telle qu’on l’entendrait de l’extérieur d’un appartement où se tient une soirée branchée, hymne traditionnel écossais joué à la cornemuse, espagnolades virant à la complainte morriconienne, percussions bruitistes enregistrées sur un vieux quatre pistes, messages téléphoniques agressifs, chants d’oiseaux au petit matin...
L’album se termine sur un morceau de plus de 10 minutes sans la moindre note de musique, récit en prose d’une nuit de confusion durant laquelle une usurpation d’identité à la fête d’anniversaire d’une adolescente de 16 ans servira de métaphore à la fuite en avant du personnage, submergé malgré lui par la réalité d’un gâchis relationnel irréversible. Au final, nulle trace de dignité, de noblesse ou de bonté d’âme dans cet album, mais rarement l’obscénité et la laideur de l’homme auront été vécues de l’intérieur avec un tel sentiment de désespoir diffus et lancinant.
Le site officiel de I Can Hear Your Heart, interdit aux moins de 18 ans. Il vous permettra notamment de découvrir quelques extraits de l’album dans leurs versions originales, de télécharger les (très courts) inédits Eureka Springs et Stag, ou encore de lire quelques-uns des textes ainsi qu’une version abrégée de "Poop".
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