The Strokes - First Impressions of Earth
Et si c’était finalement celui-ci. Le vrai disque gueule de bois des 5 de New-York. L’idée généralement reçue est qu’il s’agirait de Room on Fire. Disque urbain. Oppressant et singulièrement représentatif de la "Grosse Pomme". Disque torturé et mal-aimé, comparé injustement à une vulgaire redite sans charme d’un premier opus, Is This It ?, presque trop beau. Disque gueule de bois fut d’ailleurs le seul terme juste employé à l’époque pour décrire cette ballade nocturne et blafarde dans la nuit de New York, entre l’agitation de Time Square et la contemplation du silence sous le ciel étoilé de Central Park.
1. You Only Live Once
2. Juicebox
3. Hearth in a Cage
4. Razorblade
5. On the Other Side
6. Vision of Division
7. Ask Me Anything
8. Electricityscape
9. Killing Lies
10. Fear of Sleep
11. 15 Minutes
12. Ize of the World
13. Evening Sun
14. Red Light
Et pourtant. Le stress. L’angoisse. Le futur et toutes les incertitudes qu’il comporte. Les thèmes dominants de First Impressions of Earth, troisième opus des Strokes, lui permettent sans mal d’accéder lui aussi à ce titre absolument pas réducteur. Le quintette a pourtant évolué de manière spectaculaire entre 2003 et 2006. D’un point de vue musical en tout cas. Malgré tout l’ambiance arrive à rester la même. L’univers perdure. Et puis, cet album est presque un miracle. Les Strokes ont en si peu de temps frôlé déjà tellement de fois la sortie de route. De fin 2001 à 2004, un tunnel. Les Strokes découvraient le succès, son ivresse et ses revers. Un premier opus plein d’espoir et chatoyant, adulé de tous. Suivi d’un second cynique, plus froid, parfois maladroit mais superbement touchant et inutilement rabaissé par la critique. Le parcours d’un groupe de rock classique a qui tout a souri. Trop. Trop vite. Le fameux Too Much, Too Soon des New York Dolls.
Ce troisième album était donc une sorte de retour des enfers. Un come-back venu de nulle part d’un groupe que tout le monde pensait détruit. Un miracle, certes. Mais pas pour autant un retour en grâce. La faute au critiques. Encore une fois. Et, chose nouvelle, à une partie de son public. Et pour cause, First Impressions of Earth n’est pas un disque facile. C’est un album encore plus torturé que le précédent. Anxieux. Moderne dans les thèmes qu’il aborde. Un vrai disque gueule de bois. Voilà c’est exactement cela.
Oh, tout le monde est d’accord sur une chose. Casablancas, Moretti, Fraiture, Valensi et Hammond Jr ont muri. Et le premier des 5 prend une place de plus en plus importante au sein du collectif au point qu’Albert Hammond aille prendre l’air en solo pour nos refourguer ses charmantes compositions bucoliques et rêveuses ( Yours to Keep en 2006). Le son est érigé en symbole de ce changement. Seul le sublime Electricityscape garde les traces de ce son électronique présent sur 12:51 ou The End has no End. Partout ailleurs il est plus dur. Et pour la première fois, produit. Oh, sacrilège impardonnable pour certains. Moins évident de prime abord mais tellement plus profond. Un poison insidieux et perfide laissant son œuvre agir avec le temps. Tout en douceur. Oh, pourtant tout commençait bien. You Only Live Once est même plutôt porteur d’espoir. Presque un hymne à la vie. Oh, oui jusque là tout allait bien.
Souvenez quand en 2001, une poignée de groupes qui formaient la partie émergée de l’iceberg donnèrent un coup de fouet à toute une génération. Tous en The. Strokes, Libertines, White Stripes, Kills, Vines. Ces groupes qui laissèrent quelques albums d’anthologie. Is This It ?, Up the Bracket, Elephant, Highly Envolved, et Keep on your Mean Side. Peut-être pas capital d’un point de vue musical. Mais plus sur le point de vue de l’influence. Toute une génération a vécu avec. Il y a des sentiments, des émotions bien précises acquises avec ces albums. Comme les précédentes l’ont fait avec Nirvana, les Smiths, Joy Division, les Stones ou les Beatles. Ces 5 groupes avaient la bonne dégaine, étaient là au bon moment. Puis, un jeu de massacre. Les uns ont splitté ou sombré avec un leader mégalo à leur tête pendant que les autres prirent d’autres chemins ou furent tout bonnement oubliés. Au milieu de cela les Strokes donc.
First Impressions of Earth est un album qui fait évoluer fondamentalement la musique des new-yorkais. Alors forcément, c’est un album qui divise. Pour certains un chef-d’œuvre. Le meilleur de tous. Pour les autres, un accident. Ou alors la preuve que les Strokes ne valaient plus rien. Oh, bien sûr, il possède ses mauvais côtés. Un effet rétro/slash/métal chiant sur la guitare de Valensi. Les guitares et les solos sont peut-être le point le plus discutable de l’album. Celui du, pourtant magnifique, Ize of the World et surtout celui de Vision of Division sont une catastrophe. Pour la première fois aussi, il a de mauvais titres. Oh, bien sûr il y avait déjà quelques titres passables sur les deux précédents albums (Soma, The Way It Is) il y en a ici aussi beaucoup plus. 14 titres dont au moins deux ou trois sont dispensables. La ballade anxieuse et somnambule Killing Lies, pourtant très représentative d’un album insomniaque, qui ne parvient jamais a réellement à décoller. Ou le trop gentil Evening Sun co-écrit par Fabrizio Moretti. Mais c’est aussi ça les années 2000. La nonchalance. L’imperfection. Mais une imperfection emplie de charme.
L’album des années 2000. N’en déplaise à certains. Pas seulement et même pas du tout d’un point vue musical. Car First Impressions of Earth est loin d’être parfait. Ce disque est juste si important. Si je vous ai déblatéré tout ça sur les années 2000 tout à l’heure c’est pour comprendre cela. First Impressions of Earth raconte cela : Les années 2000. En porte tout les symptômes. Les Strokes tombent à leur tour dans cette mode qui consiste à balancer tout ses singles au début de l’album. On retrouve donc les 3 singles en plage 1, 2 et 3. Moderne également dans ses ventes. A peine plus d’un million, les plus mauvaises du groupe. Ceci est paradoxal alors que les places de la tournée ne se sont jamais aussi bien vendues. Un reflet de l’état actuel de l’industrie du disque. First Impressions of Earth traduit notre époque jusqu’au bout.
Mais il ne dépeint pas cette angoissante décennie d’un point de vue exclusivement musical. Il exprime les craintes de cette jeunesse. Ses peurs et ses espoirs. Ses dérives et ses abus. Raconte ses problèmes. Cette histoire d’amour qui finit mal dans Razorblade. Un thème récurrent chez Casablancas. 14 complaintes qui forment un tout. Comme sur Room on Fire, on retrouve une vraie évolution. Des morceaux qui deviennent de plus en plus anxieux et nihilistes après les 3 singles inauguraux. Un disque qui culmine plusieurs fois. Sur Fear of Sleep. Ce cri déchirant. Un appel au secours angoissant et terrifiant. Au point d’en perdre à son tour le sommeil. Et sur On the Other Side, ce titre presque autobiographique et ce couplet qui fait mal "I hate them all, I hate them all/ I hate myself for hating them/ So drink some more/ I’ll love them all/ I’ll drink even more/ I’ll hate them even more than I did before". Ces moments de réconfort, faisant part de la solitude de Casablancas, nous rapprochent. C’est ce qui reste quand on a tout perdu.
Tout cela prend tout son sens, se rassemble et se synthétise dans le titre de l’album. Un titre exceptionnel d’ailleurs. Génial. First Impressions of Earth. On leur demande à tour de bras en interview la signification. Sourires. Mystère. A chaque fois. On l’interprète comme on le veut alors. Comme un reflet de ce que verrait quelqu’un qui viendrait de prendre pied sur la Planète Bleue. Un tableau noir. Qui ne donne qu’une envie. Repartir. Fuir. S’échapper.
Les textes sont les plus aboutis et prennent pour la première fois le pas sur les imparables mélodies. Ces fameuses mélodies. Qui tranchent tant avec les textes. Les chansons ont le goût d’un baiser. Mais un baiser amer. On voit un Julian Casablancas au sommet. Ize of the World est peut-être sa chanson la plus aboutie, les paroles sont géniales, subtiles et noires. A l’instar de ce Red Light où Casablancas parlent de cette génération qui n’a "rien à dire". Puis parfois on atteint à nouveau les sommets de l’absurde telle qu’on les trouvait sur Automatic Stop. Ces paroles impénétrables et troubles. Comme dans cet appel à l’aide lancinant joué à l’aide du seul mélotron. Ask Me Anything. Un modèle du genre. "Don’t be a coconut/ God is trying to talk to you". Allez comprendre.
Avec ses moments de grâces, ses défauts, ses qualités et ses textes noirs, terrifiants, incisifs, corrosifs même. Son comportement moderne jusqu’au bout. First Impressions of Earth est belle et bien LA bande-son de ces angoissantes années 2000. Un album faisant le point sur cette décennie décidément curieuse. Tout l’intérêt d’écrire en 2008 sur First Impressions of Earth réside là. Il faut comprendre. Ce disque capital. Le cri d’une génération.
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