Le Réveil Des Tropiques - s/t
Premier disque d’un collectif de musiciens expérimentés, Le Réveil Des Tropiques du groupe du même nom ne se cantonne pas qu’aux lignes parallèles et imaginaires qui cernent l’Équateur, il s’occupe également de vos tympans. Quatre-vingts minutes d’improvisation qui évitent consciencieusement le grand n’importe quoi. Tendue, rêche et revêche, tour à tour impétueuse et apaisée, cette musique en liberté impressionne carrément. Jubilatoire.
DISC 1
1. Jérusalem
2. Tenochtitlan
3. Homs
4. Antibes
5. Tunguska
D’emblée, ce disque intrigue : de sa pochette version troisième âge sous un ciel dégagé à ses titres issus des lectures conjuguées d’une mappemonde et de la mythologie grecque, du paradigme qui l’a vu naître au patronyme même de ce collectif réunissant cinq musiciens aguerris que rien ne semble arrêter. « Cet album est issu d’une série d’improvisations hallucinées par le Réveil Des Tropiques les 22 et 23 avril 2011 » peut-on lire au milieu de crédits pourtant on ne peut plus synthétiques : deux jours et trois nuits seulement pour accoucher d’un double album de cette trempe, voilà qui laisse pantois. Qu’en plus, ces neuf pistes soient toutes issues de longues jams psychotropes qui frappent surtout par leur rigueur extrême, voilà qui laisse carrément sans voix. Comme ses crédits, Le Réveil Des Tropiques va directement à l’essentiel, même lorsqu’un instrument passe au premier plan et divague de longues minutes durant en taillant la route, imperturbable et fermé à tous ceux qui l’entourent, il n’en oublie pas pour autant l’architecture dans laquelle il se meut et raccroche toujours les gants au bon moment, préservant ainsi la cohérence de l’ensemble. Il s’agit avant tout d’« improvisations hallucinées », en aucun cas de masturbation technique, prétentieuse, stérile et foutrement vaine. Il s’y passe tant de choses que Le Réveil Des Tropiques n’est jamais, à aucun moment, démonstratif. Et ses atours sont à tel point flous et mal définis qu’on peut y projeter ce que l’on veut. Bref, concernant ces cinq-là, le mouvement semble être avant tout dirigé vers l’auditeur bien plus que vers eux-mêmes. Et le boulevard étant ainsi créé, il ne reste plus qu’à s’y engouffrer.
Ça tombe bien, le disque débute par un Jérusalem de presque quinze minutes. Une entame casse-gueule tout de même car on imagine aisément que nombre de paires d’oreilles risquent de rester sur le bord du chemin, rebutées par ce quart d’heure strictement instrumental qui cherche et se cherche, sans oser en franchir les méandres pour explorer tout ce qui le suit. Pourtant, ça serait une grave erreur, car bien plus que se chercher, Jérusalem se trouve et balise ainsi tous les morceaux à venir. Et puis, justement, balancer un tel titre en ouverture, voilà une belle preuve de sincérité qui permet au Réveil Des Tropiques de définir qui il est et ce qu’il joue. Ce qu’il joue ? Pour aller vite, on résumera leur musique à un amalgame de krautrock et de noise avec un soupçon de post-rock mais pas trop. Surtout, on rajoutera l’adjectif psychédélique. Quel que soit le genre dans lequel fraie le groupe, il ne se sépare jamais de son côté complètement perché. Quels que soient les chemins qu’il emprunte, courts ou tortueux, synthétiques ou analogiques, simples ou complexes, les velléités hypnotiques restent bien devant. Le Réveil Des Tropiques voyage en jouant et l’auditeur voyage en l’écoutant. Un premier titre en forme de manifeste donc où les instruments se mêlent les uns aux autres, dansent une chorégraphie tortueuse sous le haut patronat de la basse, se cherchent, se frottent, s’évitent puis se retrouvent pour dessiner un ensemble qui file à la vitesse de l’éclair. Un premier morceau extrêmement organique au groove sec et plutôt rêche habillé d’atours luxuriants. On pense à Can bien sûr pour la rythmique cristalline, inventive et répétitive, à Faust aussi pour le goût des errances jusqu’au-boutistes, voire à Neu un peu pour l’envie de mettre à mal les frontières, à tous les hérauts de la kosmische musik mais qui auraient copulé avec le psychédélisme exalté des premiers Pink Floyd. Déjà du beau monde.
Après un Tenochtitlan tout en guitares surexposées et trafiquées sur fond de rythmique patraque et déformée, Homs prend par surprise avec ses délires analogiques pour synthétiseurs préhistoriques et c’est là que l’on comprend que l’on n’a pas affaire à n’importe quoi et encore moins à n’importe qui. Les deux premiers morceaux étaient maîtrisés, celui-ci l’est également mais use d’armes pourtant bien différentes. La rigueur est toujours présente mais son visage n’a rien à voir et pourtant, Le Réveil Des Tropiques navigue à l’aise et l’on se dit qu’il pourrait tout aussi bien nous préparer une musette pour le suivant qu’il s’en sortirait haut la main. C’est dire si ça joue, c’est dire si ces cinq-là savent comment s’y prendre pour faire sonner un morceau. Et pourtant, encore une fois, à aucun moment le groupe n’œuvre dans la démonstration. Fruit de la rencontre des bras agiles d’Arnaud Rhuth (from Testa Rossa entre autres projets) bien planqué derrière sa batterie avec les doigts arachnéens et la basse caoutchouteuse de Stéphane Pigneul, évadé d’Object, des six cordes de Frédéric D. Oberland (Farewell Poetry, The Rustle Of The Stars, liste non exhaustive) qui souffle aussi dans un saxo alto à l’occasion, puis des six autres d’Adrien Kanter (Trésors) qu’il délaisse parfois pour manipuler un synthétiseur ou une cracklebox venant ainsi au renfort des multiples effets charriés par les claviers de Matthieu Philippe de l’Isle des séminaux Casse-Gueule, manipulant également bandes et percussions, on comprend très vite d’où vient l’expertise. Voilà pour le pedigree maousse d’un groupe tout-terrain capable à la fois de déplacer les montagnes par le seul fait de son souffle épique comme d’imiter l’eau qui dort lorsque tout ce petit monde se calme.
On ne détaillera pas tout l’album, il faudrait beaucoup trop de mots et puis ça ne servirait à rien puisqu’il vaut mieux le découvrir par soi-même et y mettre ce que l’on veut, tout juste dira-t-on que les morceaux longs sont tout aussi intenses que les courts, que la tension demeure intacte même dans les moments plus aérés et apaisés, d’ailleurs tout aussi nombreux que ceux où Le Réveil Des Tropiques montre ses crocs. On a bien cité quelques groupes emblématiques mais cette musique puise également dans bien d’autres que ceux-là (toute la frange de la no wave new-yorkaise et sa progéniture, Sonic Youth en tête mais pas seulement) et dans d’autres encore et chaque membre puise aussi dans ses expériences glanées ici et là. Tout cela au service d’un disque divisé en deux parties jumelles qui ne s’épuisent pas et sidèrent tout du long. Fume, c’est de la bonne mais c’est aussi tellement plus que ça. Parce que justement le délire n’est jamais vain et que derrière l’improvisation, on sent poindre un talent de composition bien réel, fût-il mis à l’épreuve à l’instant même où le morceau se créé. Les neuf titres ne sont ainsi pas des baudruches informes sans queue ni tête, mais une succession de temps bien structurés avec un début, un milieu et une fin qui permet aux tympans de remonter le fil d’une architecture fuselée qui peut s’étendre sur un grand nombre de minutes. Comme ce Sigirîya qui suit les mêmes voies que Jérusalem et montre le groupe jouer circulaire le temps d’un instrumental urgent et sauvage s’achevant dans un silence assourdissant ou encore Yonaguni, encore une île, qui dessine par petites touches successives d’ondes et de larsens une épopée noise et fauve plutôt inquiète mais vraiment hypnotique.
Et Le Réveil Des Tropiques d’achever son tour du monde par un Anthemusa parfaitement déliquescent, seul morceau pas vraiment structuré, sonnant presque comme une démo. Une chouette conclusion qui semble avancer qu’après ce disque, le groupe continue à improviser. Ce que l’on souhaite évidemment. Et puis à bien y regarder, ces yeux ridés sur la pochette, c’est bien l’horizon qu’ils semblent fixer et ce, avec un sourire éclatant. Un sourire qui, personnellement, ne m’a jamais quitté quatre-vingts minutes durant et qui devrait trouver le chemin de vos lèvres si vous offrez à vos tympans l’occasion de découvrir cette musique indomptée et fureteuse. Parfaitement emballé par les soins des activistes de Music Fear Satan, Le Réveil Des Tropiques achève 2012 de la plus belle des façons, dans un beau et grand bordel.
Exceptionnel.
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